samedi 15 novembre 2008

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Ce fabuleux Gonseth:

Jusqu'à un certain point, un schéma est assimilable à un portrait. On ne s'étonnera pas d'entendre dire de certains peintres qu'il font de l'authentique, bien que recréant une réalité conforme à leur «manière». Cette comparaison fait incliner déjà la signification du mot «authentique» dans le sens que nous entendons. Elle ne va cependant pas encore assez loin. Qui dit portrait dit aussi modèle. Antérieurement à la réalité qu'il a su authentiquement rendre dans son tableau, le peintre a rencontré la réalité de son modèle; celle-ci est primaire par rapport à la réalité inscrite dans le portrait. Modèle et portrait sont ici dans un rapport qui rappelle celui (que nous disions trop simple) d'une réalité pré-donnée et de son schéma. Pour nous rapprocher de la situation que nous avons en vue, il faudrait imaginer que le portrait est le moyen même de la connaissance de la personne, que c'est par le portrait que la réalité de celle-ci nous est donnée, que c'est par l'exécution du portrait que cette réalité se constitue pour nous, qu'il n'y a pas, en un mot, de réalité qui nous soit donnée antérieurement au portrait, ou tout au plus de façon plus vague et plus indéterminée.

C'est dans cette situation que le schéma revêt son rôle le plus significatif : il n'est alors ni antérieur ni postérieur à la connaissance de la signification extérieure; il est l'un des éléments constitutifs de cette connaissance. La constitution du schéma est le moyen par lequel la réalité qu'il saisit prend pour nous sa structure. Schéma et signification extérieure ne sont alors séparables que par le jeu de deux intentions opposées : celle de nous affirmer en face des choses et celle d'affirmer les choses en face de nous.

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Pour décrire la façon dont est donnée la signification extérieure d'un schéma, nous pourrons dire maintenant que celle-ci doit être conçue non comme une réalité en soi, mais comme un horizon de réalité, que la connaissance que nous en possédons n'est pas une saisie définitive, mais un horizon de connaissance.

Avons-nous ainsi caractérisé le rapport de la carte à la forêt et plus généralement d'un schéma à sa signification extérieure ? Pas encore entièrement. Reprenons, avec l'aide des locutions qui viennent d'être introduites, les questions que nous examinions il y a un instant. Faut-il penser que le schéma ne représente qu'une version simplifiée d'un horizon de réalité donné d'avance ? Que l'abstraction schématisante ne prend place que dans un horizon de réalité déjà constitué, déjà construit ?

Il peut arriver qu'il en soit ainsi. C'est en particulier le cas de la carte de notre fable. Mais l'idée de schéma dont nous aurons à nous servir ne comporte pas nécessairement cette exigence restrictive. Rien, nous l'avons reconnu, ne nous autorise à poser en règle qu'un schéma et l'horizon de sa signification extérieure ne puissent jamais s'édifier simultanément dans une interdépendance réciproque. Si nous voulons tenir compte objectivement des démarches dont l'esprit humain est capable, la prudence conseille d'admettre le contraire – et les confirmations ne nous manqueront pas.

La règle (et c'est en même temps le cas qui mérite l'attention) c'est que la constitution et l'interprétation d'un schéma (ou, si l'on préfère, sa conception et sa mise en oeuvre) sont les moyens mêmes par lesquels un horizon de connaissance se définit.

Extrait de la Géométrie et le problème de l'espace, chapitre IV : La synthèse dialectique, Editions du Griffon, Neuchâtel (1945-1955), en ligne. (les caractères gras sont les miens).
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