dimanche 23 novembre 2008

Un petit dialogue informatique avec une très symathique correspondante (Mme Regine B.)

Mme RB.  Lorsque j'étais étudiante ( fin des années 60, début 70), une option de linguistique   était 
obligatoire pour l'obtention de la licence : nous avions le choix entre un certificat de philologie allemande ( terme peut-être vieilli actuellement) ou de linguistique générale, discipline pour laquelle j'avais opté. Pendant une année,  j'avais donc  eu la possibilité de suivre une sorte d'introduction à cette discipline , le temps de voir en grandes lignes ce que représentaient Saussure, Martinet .. jusqu'à Chomsky. 
Nous étions alors très peu nombreux à choisir cet enseignement.
Comment expliquez-vous que quelques 40 années plus tard, nous en soyons presque au même point? Elle reste toujours très peu enseignée : lorsque je consulte les programmes des licences de Lettres Modernes, classiques ou de LVE ( langues vivantes étrangères), je constate que ce n'est toujours pas obligatoire et m'aperçois que nombre de jeunes collègues qui sortent de la fac où ils se sont occupés de langues n'en ont même aucune notion. 

Ma tentative de réponse.
(réponse trop bavarde, je coupe le préambule trop convenu sur la fin de la linguistique comme science phare des humanités, désormais opposées aux nouvelles SHS etc. Ma correspondante aura passé cela très vite, j'espère).

Je partage apparemment votre constat, et pourrais même surenchérir: la phonologie (Rolls-Royce de la pensée 
structuraliste) n'aura pas eu le temps d'être intégrée dans la pensée collective, commence à peine à entrer dans les manuels de langue grand public... alors que les linguistes sont déjà en train de la remettre en question. Les grandes découvertes linguistiques de la décennie écoulée se passent fort bien de l'hypothèse d'une phonologie séparée de la grammaire (de la morphologie). Or elles son absolument révolutionnaires, en tout cas m'ont personnellement bouleversé,  car elles remettent en question tout ce que je croyais acquis dur comme fer il y a vingt ans. Savez-vous qu'on explique désormais la morphologie du verbe arabe en suivant un "cycle des voyelles" retrouvés dans d'autres langues du monde? Et ça marche! C'est jusqu'aux fondements du 
saussurisme qui sont atteints, et tout le relativisme issu de la tradition critique du 20eme siècle qui est en train de tourner vinaigre.

Mais d'un autre côté.... peut-être ne suis-je pas entièrement d'accord avec vous. Admettons donc que le phonème retourne dans les cartons au même titre que les transformations de la grammaire générative, demeureront les notions de "pertinence", "valeur", "commutation" etc. De même que la très jeune notion de "problématique" (qui nous vient de Bachelard et Althusser)... Il en irait donc de la linguistique comme de la philosophie, de la logique ou des études littéraires - et au contraire de la chimie, de la physique et des mathématiques: en matière de linguistique (de philo etc.), seules les notions très générales accèderaient à la conscience collective. Peut-être n'est-ce pas si mal? Peut-être que tout le reste n'est qu'un outillage clinquant destiné à mourir quelques décennies après son invention? (Voyez combien l'historien Pierre Nora est malheureux de voir répéter à l'envi son expression "lieu de mémoire": tout se passe comme s'il s'agissait d'une notion
indûment échappée du laboratoire où elle aurait dû demeurer!)

Ce que vous et moi sommes enclins à considérer comme un retard, si ce n'était en réalité que le véritable mode de diffusion des grandes découvertes concernant l'humain? Il y aurait donc un sens à distinguer sciences dures vs. molles (=humaines): les premières sont contondantes, pénètrent prestement dans le tissu social. Les secondes sont diffuses, dans un rapport ambivalent (foncièrement non instrumental) à la société où elles apparaissent. Faites de choses bizarres, ésotériques (des "DA-Sein", des "Règle de montée du sujet", des "stades du miroir" et autres passionnantes mais obscures fadaises qui sont le quotidien de petites collectivités de spécialistes), et faites de choses énormes, de concepts-phares qui finissent toujours par s'installer et devenir des faits sociaux: le jugement, le paradigme, l'inconscient, etc.

А может все наоборот?

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