dimanche 4 mars 2007

Ricœur sans cœur

(...)

Une amie m’interroge sur une pseudo-citation de Benveniste trouvée quelque part :

« Le discours consiste en ceci que quelqu'un dit quelque chose a quelqu'un sur quelque chose selon des règles ».

Benveniste a-t-il vraiment dit cela ?

La phrase provient de Paul RICŒUR, "La mémoire, l'histoire, l'oubli", Paris: le Seuil, 2000: 228-229. Citation, entrecoupées de remarques de lecteur entre "//"

"Qu'il soit traité en suspect ou en hôte bienvenu après une longue absence, c'est à titre de référent ultime que l'événement peut figurer dans le discours historique. La question à laquelle il répond est celle-ci:

/l'événement figure donc dans le discours historique comme "réponse"/

de quoi parle-t-on lorsque l'on dit que quelque chose est arrivé?' Non seulement je ne récuse pas ce statut de référent, mais je plaide inlassablement en sa faveur tout au long de l'ouvrage.

Et c'est pour préserver ce statut de vis-à-vis du discours historique que je distingue le fait fait en tant que 'la chose dite', le quoi du discours historique, de l'événement en tant que 'la chose dont on parle', le 'au sujet de quoi' est le discours historique.


/phrase si contournée qu'on peine à comprendre: je pense que le "quoi" du dernier "au sujet de quoi" est anaphorique: il faut donc comprendre que le discours historique EST le (pourquoi pas 'un') 'au sujet de l'événement'; l'événement ressortit donc bien à la référence/

À cet égard, l'assertion d'un fait historique marque la distance entre le dit (la chose dite) et la visée référentielle qui selon l'expression de Benveniste reverse le discours au monde. Le monde, dans l'histoire, c'est la vie des hommes du passé telle qu'elle fut. C'est de cela qu'il s'agit. Et la première chose que l'on en dit, c'est que cela est arrivé. Tel qu'on le dit? C'est toute la question" (...)

"Pour ma part, je pense honorer l'événement en le tenant pour le vis-à-vis effectif du témoignage en tant que catégorie première de la mémoire archivée. Quelque spécification que l'on puisse apporter ou imposer ultérieurement à l'événement, principalement avec les notions de structure et de conjoncture, plaçant l'événement dans une position tierce par rapport à d'autres notions connexes, l'événement, en son sens le plus primitif, est cela au sujet de quoi quelqu'un témoigne. Il est l'emblème de toutes les choses passées (preterita). Mais le dit du dire du témoignage est un fait, le fait que... Précisons: le "que" apposé à l'assertion du fait tient en réserve la visée intentionnelle qui sera thématisée en fin de parcours épistémologique sous le signe de la représentance. Seule une sémiotique inappropriée au discours historique entretient le déni du référent au profit du couple exclusif consitué par le signifiant (narratif, rhétorique, imaginatif) et le signifié (l'énoncé du fait). A la conception binaire du signe héritée d'une linguistique saussurrienne, peut-être déjà mutilée, j'oppose la conception triadique du signifiant, du signifié et du référent. J'ai proposé ailleurs une formule empruntée à Benveniste selon laquelle LE DISCOURS CONSISTE EN CECI QUE QUELQU'UN DIT QUELQUE CHOSE A QUELQU'UN SUR QUELQUE CHOSE SELON DES REGLES*. Dans ce schéma, le référent est le symétrique du locuteur, à savoir l'historien et, avant lui, le témoin présent de son propre témoignage. »

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* E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale", Paris: Gallimard, coll. "Diogène", 1966.

Scandale de ces renvois bibliographiques qui n'en sont pas... Il faut donc rechercher la bonne référence dans je ne sais trop lequel des trois tomes de Temps et récit!

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