samedi 3 septembre 2005

Nicolas Grimaldi

Nicolas Grimaldi, Bref traité du désenchantement, PUF, 1998 (rééd. Livre de Poche, biblio essais, 120 p.)

Quelques notes de lectures jetées comme ça, pleines de coquilles, de reformulations non autorisées (ne pas se fier aux guillemets). Une négligence à laquelle l'auteur lui-même nous convie, par delà les apprences de ce texte lisse comme une peau de golden: ne s'autorise-t-il pas des synonymies lourdes du genre "réel = présent" (affirmée p. 42, utilisé partout, un avatar de cette métaphysique du présent que pointait Derrida ?); "possible = imaginaire" (et, puisqu’on y est : "fictif"). Allez donc comprendre ces métaphysiciens... Glissons.

Les thèmes annoncés p. 17-18 suffisent à décrire le diagnostic :

1) pourquoi l’irréel, le fictif excède-t-il toujours en quelque sorte le réel ?
2) qu’est-ce qui, dans l’imaginaire, est condamné à ne jamais devenir réel ?
3) en quoi le possible recèle-t-il toujours un impossible
4) le paradoxe de Saint Augustin : comment puis-je, par mon sentiment présent, me représenter le passé ou le futur ?
5) la chose désirée, une fois obtenue, perdrait tout son attrait s’il n’y avait pas aussi, dans se désir, une tension vers l’impossible.

Joli plan, développé ainsi:

1) « ce n’est pas l’être du présent en soi qui est déficient, mais la conscience qui est à elle-même son propre manque et sa propre déficience (…) c’est parce que la conscience est désir qu’elle ne peut jamais posséder ce qu’elle désire. » (25) Le temps est l’étoffe même de la conscience, or le présent n’a pas d’épaisseur temporelle. Le désenchantement nous ramène donc à notre inquiétude fondamentale. Ce qui vit se caractérise par son devenir, « le présent conspire sans cesse à se déprendre de soi ». « Cette secrète inconciliation du présent avec soi (…) c’est l’inquiétude ». L’âme hante le corps comme sa fin à venir hante l’âme. Cf l’entelekheia aristotélicienne.

2) le présent nous résiste ; par contraire, nous « imaginons l’avenir complice de nos initiatives » (40). C’est de cette résistance du présent que s’ensuit l’impression de finitude ; alors que l’avenir nous laisse imaginer une infinité de possibles » S’il n’y a rien de plus dans l’imaginaire que ce qui j’y mets (cf. l’expérience mentale ouvrant l’imagination de Sartre : « le monde des images est un monde où il n’arrive rien »), le présent est infiniment riche ; c’est paradoxalement cette richesse qui m’en fait éprouver sa précarité, puisque je me trouve condamné à n’en percevoir que telle ou telle parcelle.

3) « Tout se passe comme s’il y avait quelque chose de problématique dans le réel… » -- puisqu’il y a une infinité de choses possibles autres que celles que nous percevons.
Mais Grimaldi devient confus, malgré la référence à la troisième analogie de l’expérience chez Kant : ce possible est-il :
a) un possible présentifié : il existe maintenant une infinité d’autres choses possibles
b) ou inversement, la tendance du présence à déborder sur l’avenir (parce qu’on n’a jamais fini de vouloir épuiser le présent) ; autrement dit, serait en cause la temporalité inscrite dans l’infinité du donné présent (l’infinité des médiations dont le présent, tout immédiat qu’il soit, se trouve être le support).

« …et qqchose d’assertorique dans le possible », en tant que ce possible que nous imaginons est soustrait à la relativité, à l’interaction des phénomènes entre eux, à l’inattendu etc. Autrement dit, d’après ce raisonnement rien ne serait possible qui ne soit prévisible ; à nouveau, ce flou lexical est insupportable.

Nous sommes certains de ce que nous imaginons, mais toujours incertains de ce que nous vivons. (47)

Et il y a l’imagination sans représentation, le schématisme (cf. la définition kantienne du schème : « la représentation d’un procédé pour procurer à un concept son image » - un schème n’est donc pas en soi une image, cf. les définitions géométriques) : l’avenir est souvent imaginé sous la forme d’une schématisation libre de toute circonstance, détermination, négation… comme un pur concept. (59) « Cette imagination nous fait éprouver le concept qu’elle schématise comme un pathos absolu » (cf. les utopies, les rêves de carrière).

L’imagination historique, aussi, avec l’exemple pris par Nietzsche de l’histoire monumentale qui, comme le redit joliment Grimaldi, « confie au passé de se faire le fossoyeur du présent ». Et l’imagination qui projette dans l’avenir l’image que nous avons du passé (Voltaire imaginant pour la France en 1750 le régime que l’Angleterre avait depuis quatre siècles). Imagination réconfortante dans les deux cas, qui ne réserve surprises et aventures qu’à ceux qui n’auraient pas appris l’histoire…

Et la déception sera plus ou moins sensible suivant l’attente, cf. la déception des lettrés devant la réalisation brouillonne de leurs plans léchés…

La conscience est toute entière attente et désir, or toute attente est secrètement décevante, comme tout désir est contradictoire par essence, voué à n’être plus désir au moment même où il se réalise. Ce que l’attente avait distingué comme objet privilégié – voire unique -, cela se trouve dilué dans la contiguïté de tout ce qui l’entoure dans le présent. Une fois entré dans le bus que j’attendais et cherchais avidement du regard, je regarde dehors. « Au lieu que le monde soit la scène où je guettais qu’il apparût, il sera l’invisible point de vue d’où le monde m’apparaîtra. » (p. 76)

Les choses désirées, une fois réalisées, se trouvent contaminées par la banalité des mille circonstances qui, désormais, les entourent, cf. la « tyrannie du particulier » (Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleur, 1, 660)

On dit depuis Platon que tout désir est désir de ne plus désirer ;ce point ou tout désir s’abolit, ce serait l’éternité. La vérité de tout désir serait eschatologique. Du coup, il faudrait reconnaître en toute vie un secret désir de mort. Mais pour autant, il n’est pas vrai qu’en mangeant, on espère ne plus jamais avoir faim ! L’erreur de ces analyses, d’après Grimaldi, et de confondre besoins (nécessairement satisfaits, fondés biologiquement) et les les désirs (qui peuvent rester à jamais en attente de satisfaction). Or le propre d’un désir est qu’il n’est jamais satisffait pleinement. Tout se passe comme si les divers buts que s’assigne le désir n’étaient qu’autant de leurres justifiant la quête. Des prétextes… Le but poursuivi et réalisé n’était pas un objet, mais un fétiche de notre désir.

Reste toutefois à comprendre pourquoi le désir se satisfait d’autant moins qu’il semble d’avantage s’accomplir. De fait, tout désir une un travail de sape du présent, une aspiration à l’autre, à cet avenir qui anéantira le présent.

C’est en fait le paradoxe de tout désir : à la fois lié à l’aventure, la rupture, le départ ET au but, à l’arrivée ; à la fois (désir de) commencement et (désir) d’ultimité. (p. 86) « A peine l’ordre est-il établi qu’il nous impatiente et nous fait aspirer à la révolution ; mais la révolution n’a pas plutôt éclaté que son improvisation brouillonne nous irrite.

Je renvoie ensuite à la conversation menée en russe dans (
myrabelle a dit…

J'ai un blog de poésie philosophique, ou de philo poétique j'aimerais en avertir Nicolas Grimaldi, donc en voici l'adresse...http://myrabellepoesie.blogspot.com/

Amitiés
Myrabelle (http://myrabelle.chez-alice.fr)