lundi 30 janvier 2006

La chaussette de Heidegger

« Une chaussette reprisée plutôt qu'une chaussette déchirée ; il n'en va pas de même de la conscience de soi [Selbstbewußtsein] » Hegel, Écrits d'Iéna, fragment n°65

Heidegger inverse la phrase en feignant d'y voir une erreur de transcription : « Mieux vaut une chaussette déchirée [zerreißen] qu'une chaussette reprisée] ».

« Soit une chaussette déchirée : ce qui n'est plus là, c'est la chaussette, mais attention, non pas comme chaussette. En effet, la chaussette en bon état, si je l'ai à mon pied, précisément je ne la vise pas comme chausssette. Alors que si elle vient à être déchirée, voilà que la chaussette transparaît avec plus de force à travers la chaussette en morceaux. Autrement dit ce qui manque dans la chaussette déchirée, c'est l'unité de la chaussette. Ce manque paradoxalement est positif au plus haut point, car cette unité de la déchirure est présente en tant qu'unité perdue. »

C'est lorsque l'unité d'une chose se dérobe, c'est-à-dire quand elle éclate et en réalité elle sert de son ordinaire, de son contexte, qu'on commence à voir les choses comme elles sont — quand elles cessent d'être utiles. Repriser la chaussette, c'est supprimer la possibilité de cette vision et sortir du champ visuel l'unité même de la chaussette, pour remettre en fonction son usage ordinaire. « La scission [Entzweiung] est la source du besoin de la philosophie. » (Hegel).

Tous les essais pour supprimer la Zerrißenheit doivent être abandonnés, en tant qu'elle est ce qui demeure au fond, et ce qui doit demeurer. « Ainsi c'est seulement dans la Zerrißenheit que peut apparaître, comme absente, l'unité. » Si pour Hegel, la Zerrißenheit fait basculer la chaussette dans le non-être, pour Heidegger, c'est ce qui la fait naître à elle-même.

Source : Cours de Martin de Courcel, prof de philo en khâgne au lycée Henri-IV

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